IV – L'islam et le monde musulman du Proche-Orient, du XVIe siècle à nos jours
Cette partie aborde l'évolution de l'islam et des sociétés musulmanes dans le Proche-Orient depuis l'époque de l'Empire ottoman jusqu'à l'ère contemporaine, en mettant en lumière les dynamiques religieuses, politiques et sociales.
A. L'empire ottoman, un sultanat multiconfessionnel (XVIe-XIXe siècles)
L'Empire ottoman, qui s'étendait sur une vaste région incluant l'Anatolie, la Méditerranée orientale, et les lieux saints de l'islam (Médine, La Mecque, Constantinople), fut un sultanat multiconfessionnel dominé par une majorité sunnite.
Pouvoir et autorité ottomane
- Soliman le Magnifique (mort en 1566) est l'un des souverains les plus emblématiques, se proclamant « Sultan des sultans du monde, Ombre de Dieu sur les terres ».
- Son prédécesseur, Selim Ier (mort en 1520), se fit reconnaître comme « imperator », « khan » et sultan, et prit le titre de calife à partir de 1517, un rôle qu'il conserva jusqu'en 1924.
- Le sultan ottoman avait la responsabilité de préserver la loi religieuse (charia) sans pouvoir en modifier la lettre ni l'interpréter, bien qu'une innovation majeure apparut à la fin du XVIe siècle avec la possibilité pour le sultan de légiférer « selon la nécessité et la raison ».
Multiconfessionnalisme et société ottomane
- L'Empire ottoman était majoritairement sunnite, mais comprenait aussi des chiites (Druzes au Liban, Alévis en Anatolie), des chrétiens (orthodoxes, catholiques, orientaux) et des juifs.
- Les chrétiens et les juifs étaient considérés comme ahimmi, c'est-à-dire des sujets protégés mais de seconde zone, soumis à plusieurs restrictions :
- Pas d'accès aux hautes fonctions
- Interdiction de porter certaines couleurs (comme le blanc)
- Interdiction de porter des armes ou de monter à cheval
- Interdiction d'épouser des musulmanes
- Malgré ces contraintes, ils pouvaient pratiquer leur culte sans prosélytisme, commercer et posséder des terres.
Soufisme et confréries
- Le soufisme s'est diffusé largement à travers des couvents appelés tekke en turc ou zawiyya en arabe.
- Deux ordres importants :
- Bektachi, liés aux janissaires (troupes d'élite ottomanes)
- Mevlevi, connus pour les derviches tourneurs, liés aux élites.
Conflits et violences
- À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'Empire ottoman fut marqué par des tensions ethniques et religieuses, notamment avec les premiers massacres et le génocide des Arméniens (1896-1898, 1915), dans un contexte de rivalités avec la Russie orthodoxe.
B. Réformismes et politisations de l'islam contemporain (XIXe-XXIe siècles)
Avec la chute de l'Empire ottoman et l'avènement des États modernes, l'islam a connu des mouvements de réforme, de politisation et de renouveau, dans un contexte de colonisation, de nationalismes et de luttes pour l'indépendance.
Fin de l'Empire ottoman et naissance de la République turque
- Pendant la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman s'allie à la Triple Alliance (Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie) avec l'espoir de récupérer l'Égypte.
- En 1918, l'Empire est vaincu. Mustafa Kemal, dit Atatürk, fonde la « Grande Assemblée nationale » et mène la lutte pour l'indépendance.
- En 1922, le sultanat est aboli, puis en 1924, le califat est supprimé.
- Le traité de Lausanne (1923) officialise la création de la République de Turquie.
Laïcisation et modernisation en Turquie
- Entre 1922 et 1937, Atatürk met en place une laïcisation forte de l'État :
- L'État prend la tutelle sur la religion.
- Le personnel religieux devient fonctionnaire d'État.
- L'appel à la prière est limité.
- Les confréries soufies sont dissoutes.
- Le port du voile pour les femmes et du fez pour les hommes est interdit.
- En 1934, les femmes obtiennent le droit de vote et d'éligibilité.
- À partir des années 1980-1990, émergence de partis politiques turco-islamiques en opposition aux kémalistes.
- Dans les années 2000, le parti AKP (« parti de la justice et du développement ») dirigé par Recep Tayyip Erdogan assouplit certaines mesures :
- Rétablissement de l'appel à la prière en arabe.
- Réapparition des confréries soufies.
- En 2012, le port du voile est autorisé pour les fonctionnaires.
Mouvements idéologiques et réformistes dans le monde arabe
- Panarabisme : mouvement politique et culturel visant à l'unité des peuples arabes.
- La Nahda (« renaissance ») est un mouvement intellectuel non religieux qui prône la modernisation et la laïcité.
- Khalil Gibran (mort en 1931) défend la laïcité panarabe.
- Djemal ad-Din al-Afghani (mort en 1897) milite pour l'unité du monde musulman, l'anti-impérialisme et le retour aux textes religieux.
Nationalisme arabe et féminisme
- Le Parti Wafd en Égypte est un parti national-libéral.
- Huda Sha'arawi (morte en 1947) fonde l'Union féministe égyptienne, militant pour les droits des femmes.
Réformisme islamique
- Mohamed Abduh (mort en 1899), élève d'al-Afghani, est une figure majeure du réformisme islamique, prônant une lecture moderniste de l'islam.
Les salafismes
- Le salafisme, mouvement qui se réfère aux « ancêtres » (salaf), se divise en trois courants :
- Salafisme quiétiste : refus de la politique.
- Salafisme politique : volonté d'influencer les lois (exemple : Arabie Saoudite).
- Salafisme djihadiste : prône la lutte armée, incarné par des groupes comme Daesh ou Al-Qaïda.
- Le wahhabisme, courant né en Arabie Saoudite, est une forme stricte de salafisme.
- En 2016, la Conférence de Grozny (Tchétchénie) a tenté de définir les limites du salafisme.
C. L'islam en France : institutions et reconnaissance
- La Grande mosquée de Paris, inaugurée en 1926, est un symbole de la présence musulmane en France.
- Elle joue un rôle important dans l'orientation religieuse et culturelle des musulmans français.
- Plusieurs institutions ont été créées pour organiser le culte musulman en France :
- L'Institut du Monde Arabe.
- Le Conseil français du culte musulman (créé en 2003).
- Ces institutions participent à la reconnaissance et à la structuration de l'islam dans un contexte laïc.
Conclusion
Du XVIe siècle à nos jours, l'islam et le monde musulman du Proche-Orient ont traversé de profondes transformations. De l'Empire ottoman multiconfessionnel à la République turque laïque, en passant par les mouvements de réforme, de nationalisme arabe et de réislamisation, ces évolutions reflètent les tensions entre tradition et modernité, religion et politique. Aujourd'hui, l'islam continue de s'adapter aux défis contemporains, tant dans ses terres d'origine que dans les diasporas, comme en France.