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La guerre, phénomène ancien et complexe, a profondément évolué au fil des siècles, en lien avec les transformations des sociétés, des États et des conceptions morales et juridiques. Cette fiche propose une synthèse claire et progressive de ces évolutions, en abordant la guerre dans les sociétés sans État, la naissance de la guerre juste, les mutations contemporaines, ainsi que les enjeux liés à la souveraineté, à l’état d’exception et à l’anticipation des conflits.
Dans les sociétés tribales sans État, la guerre est omniprésente et essentielle à la survie. Contrairement à Rousseau qui considère l’homme naturellement bon et la guerre comme une conséquence du droit de propriété, Pierre Clastres affirme que ces sociétés vivent en guerre perpétuelle. Cette guerre n’est pas impérialiste mais remplit plusieurs fonctions sociales :
Ces conflits sont violents, avec des taux de mortalité élevés. Marcel Mauss analyse ces relations guerrières à travers la notion de don et contre-don, base des échanges sociaux qui peuvent éviter ou provoquer la guerre selon la qualité des présents échangés. La dette, loin d’être négative, est un invariant anthropologique structurant ces relations, avec l’esclavage pour dette comme pratique courante, ce contre quoi le christianisme a promu la charité.
Avec l’émergence des cités grecques, la guerre se structure en trois formes distinctes :
La guerre civile est évitée à tout prix, car elle menace la cohésion et la survie de la cité.
Au Moyen Âge, la guerre sainte, dirigée par Dieu et l’Église, dépasse les États et justifie la guerre par une cause divine. La transition vers les Temps modernes dissocie la justification théologico-morale de l’Église de la**<span style="color: #3B82F6"> légitimité juridique de l’État.**</span> La notion de guerre juste émerge alors, fondée sur :
La guerre juste devient une notion d’État, définie aujourd’hui par la <span style="color: #3B82F6">légitime défense </span>ou <span style="color: #3B82F6">la protection d’un pays agressé</span>, intégrant des <span style="color: #3B82F6">principes juridiques et moraux distincts</span> de la guerre sainte médiévale.
La guerre juste est historiquement liée à la légitimité accordée par l’État, notamment dans le cadre de la légitime défense. Cette légitimité repose sur la reconnaissance juridique de l’ennemi et la cause morale. Depuis les traités de<span style="color: #3B82F6"> Westphalie (1648),</span> la guerre est régulée par des règles visant à circonscrire les conflits entre États souverains.
La Première Guerre mondiale marque une <span style="color: #EF4444">rupture</span> : l’ennemi n’est plus un égal mais un ennemi à détruire, déshumanisé et moralement coupable. Cette déshumanisation conduit à des <span style="color: #EF4444">traités de paix punitifs</span> (ex. traité de Versailles), nourrissant des ressentiments et des idéologies extrêmes.
La Seconde Guerre mondiale se conclut par les procès de**<span style="color: #3B82F6"> Nuremberg**</span>, qui introduisent la notion de<span style="color: #3B82F6"> crime contre</span> l’humanité et condamnent rétroactivement les dirigeants nazis. Depuis, la guerre est largement perçue comme une <span style="color: #3B82F6">horreur à abolir</span>. Les États préfèrent parler <span style="color: #3B82F6">d’interventions militaires ou d’opérations de maintien de l’ordre</span>, j<span style="color: #3B82F6">ustifiées légalement</span> comme des <span style="color: #3B82F6">actions contre des criminels</span> plutôt que des conflits entre États égaux.
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la guerre asymétrique se développe, incarnée par des combattants non étatiques, <span style="color: #10B981">motivés idéologiquement (partisans, guérillas)</span>. Cette évolution soulève des questions complexes sur la légitimité des interventions (Vietnam, Kosovo, Irak) et sur la distinction entre guerre contre un gouvernement et lutte contre des combattants irréguliers. Ces débats reflètent la difficulté d’appliquer les anciennes notions de guerre juste dans un contexte contemporain mouvant. @docGRANDS ENJEUX Séance 3.docx
Michael Walzer, dans Just and Unjust Wars (1977), renouvelle la réflexion sur la guerre juste en distinguant deux dimensions fondamentales :
Cette théorie s’appuie sur une vision éthique des interactions humaines, mais suscite des désaccords liés aux différentes conceptions de la morale.
L’état d’exception désigne une suspension temporaire de certaines garanties juridiques pour faire face à une situation exceptionnelle, comme une guerre ou une catastrophe. Cette mesure illustre la primauté de la raison d’État, qui justifie la puissance et la survie de l’État par l’exercice de cet état d’exception. Cette logique s’inscrit dans la tradition machiavélienne, où le Prince doit conserver son autorité, et dans la pensée bodinienne, qui affirme l’unité de l’État. Le développement étatique passe aussi par le contrôle du territoire et de la population, selon Botero.
L’émergence de la souveraineté moderne est liée à l’affirmation du peuple comme acteur politique central. Parallèlement, un droit international d’exception s’est développé, exécuté par les souverains mais pouvant aussi se retourner contre eux. Carl Schmitt souligne que la criminalisation de l’ennemi tend à l’exclure de l’humanité, ce qui peut conduire à son anéantissement. Toutefois, cette judiciarisation des conflits traduit un rapport inégalitaire entre États dominants et entités dissidentes, reflétant un ordre mondial biaisé.
Les théories contractualistes, notamment chez Hobbes et Rousseau, justifient la formation de l’État par la nécessité de sécurité. Rousseau assimile le criminel à un ennemi, justifiant ainsi sa répression au nom de la conservation de l’État.
Cependant, la notion de sécurité humaine a progressivement supplanté celle de sécurité étatique. Ce changement s’explique par la désillusion du XXe siècle, marqué par des violences étatiques massives : environ 170 millions de victimes tuées par leur propre État contre 35 millions dans des guerres interétatiques.
Ce transfert d’attention vers la sécurité des individus traduit une méfiance envers des États parfois incapables de protéger leurs citoyens, voire sources de menaces. Judith Shklar parle ainsi d’un « libéralisme de la peur », où l’objectif est d’éviter le pire pour les populations.
La distinction entre groupes plus ou moins performants dans l’analyse des conflits ne réside pas tant dans les connaissances mais dans la méthode d’analyse. Le groupe moins performant adopte une <span style="color: #3B82F6">grille de lecture idéologiqu</span>e, s’appuyant sur des concepts fixes. À l’inverse, le groupe <span style="color: #10B981">performant</span> est pragmatique, multiplie les sources d’information et reconnaît volontiers ses erreurs. Cette différence rappelle la distinction entre<span style="color: #EF4444"> le renard et le hérisson d’Isaiah Berlin</span>, illustrant deux modes de pensée opposés.
L’anticipation des conflits est complexe car elle oscille entre causalité et contingence. Les États peinent à prévoir les guerres, notamment parce que leurs diplomates restent souvent cloisonnés dans leurs bureaux, déconnectés du terrain réel des conflits.
Carne Ross, ancien diplomate et fondateur de The Independent Diplomat, souligne que les relations internationales ne fonctionnent pas comme un jeu d’échecs mais plutôt comme des peintures abstraites de Pollock, où les interactions sont imprévisibles et chaotiques.
Cette approche met en lumière la nécessité d’une diplomatie plus inclusive et flexible pour mieux anticiper et gérer les conflits contemporains.
Cette synthèse offre une base solide pour comprendre les enjeux historiques, moraux, juridiques et stratégiques liés à la guerre et à la paix dans le monde contemporain. @docGRANDS ENJEUX Séance 3.docx
