Organisation territoriale et ressources des collectivités françaises
Les collectivités territoriales sont des personnes morales de droit public distinctes de l'État, auxquelles ce dernier transfère certaines compétences dans le cadre de la décentralisation. Ce processus implique un transfert réel de pouvoirs à ces collectivités, contrairement à la déconcentration, qui reste interne à l'administration de l'État.
La décentralisation territoriale repose sur une logique géographique et politique, avec des degrés variables selon la nature et l'importance des compétences transférées. Elle vise à rapprocher la prise de décision des citoyens en confiant aux collectivités territoriales une autonomie administrative et financière.
1. Organisation territoriale des collectivités françaises
1.1. Distinction entre circonscriptions administratives et collectivités territoriales
En France, il convient de distinguer :
- Les circonscriptions administratives : découpages territoriaux où interviennent les représentants déconcentrés de l'État, tels que les préfets.
- Les collectivités territoriales : personnes morales de droit public distinctes de l'État, dotées d'une autonomie administrative et financière.
Par exemple, dans une région comme la Normandie, coexistent un préfet (représentant de l'État) et un conseil régional (organe de la collectivité territoriale).
1.2. Les principaux échelons territoriaux
Les collectivités territoriales françaises sont principalement :
- Les communes : plus petites unités territoriales, disposant d'une clause générale de compétences.
- Les départements : compétents notamment en matière d'action sociale.
- Les régions : chargées du développement économique et de la programmation.
Ces collectivités exercent leurs compétences sur des circonscriptions administratives correspondant à leur territoire, sans empiéter sur les compétences des autres collectivités.
1.3. Évolution historique de la décentralisation
La décentralisation française s'est structurée en plusieurs étapes majeures :
- 1982 : Loi fondamentale qui crée les collectivités territoriales régionales, jusque-là simples établissements publics, et élargit leurs compétences. Elle généralise aussi l’élection des organes exécutifs locaux.
- 2003 : Révision constitutionnelle renforçant la démocratie locale, notamment par la possibilité d’organiser des référendums locaux et une autonomie financière accrue.
- 2012-2017 : Réformes importantes, dont la réduction du nombre de régions métropolitaines de 22 à 13, le développement de l’intercommunalité, et la loi NOTRe (2015) qui réorganise les compétences territoriales.
2. Compétences et autonomie des collectivités territoriales
2.1. Compétence générale et spécialisation
- Clause générale de compétence : permet aux communes d’intervenir dans tous les domaines d’intérêt local.
- Spécialisation des départements et régions : la loi du 16 décembre 2010 a supprimé cette clause pour ces collectivités afin de mieux définir leurs compétences exclusives.
- Le département est principalement compétent en matière d’action sociale.
- La région se concentre sur le développement économique.
Certaines compétences sont partagées, mais les collectivités dites chefs de file ont un rôle principal dans leur domaine.
2.2. Principe de libre administration
Garantit par l'article 72 de la Constitution, ce principe repose sur :
- Une démocratie locale avec des conseils élus au suffrage universel (municipal, départemental, régional).
- Une autonomie matérielle, notamment la capacité à prendre des actes administratifs unilatéraux et à disposer de ressources financières propres, comme le produit des impôts locaux.
2.3. Moyens juridiques et financiers
Les collectivités disposent de moyens juridiques pour exercer leurs compétences :
- Capacité à émettre des actes administratifs unilatéraux et à contracter.
- Fonctionnaires territoriaux distincts de la fonction publique d’État.
Financièrement, elles bénéficient de ressources propres garanties par la Constitution (article 72-2 alinéa 1), principalement :
- Impôts locaux (taxe foncière, taxe d'habitation, etc.).
- Dotations de l'État pour compenser certaines charges.
- Emprunts pour financer des investissements.
- Autres ressources : redevances, produits de services, subventions.
Lorsqu’un transfert de compétences entraîne des dépenses supplémentaires, l’État doit attribuer des ressources équivalentes, fixées par la loi. Cependant, les collectivités dénoncent souvent un manque d’indépendance financière et des transferts de charges non compensés.
3. Contrôle de l'État sur les collectivités territoriales
3.1. Nature du contrôle
L'État exerce un contrôle de tutelle sur les collectivités territoriales, distinct du contrôle hiérarchique exercé au sein de l'administration déconcentrée.
- Contrôle hiérarchique : s'exerce au sein d'une même personne morale, sans besoin de texte spécifique, et les décisions du supérieur ne sont généralement pas contestables.
- Tutelle : relation entre personnes morales distinctes, définie par un texte qui précise ses limites. Les actes de tutelle peuvent être contestés devant le juge administratif.
La tutelle doit se limiter à des motifs de légalité, excluant les pouvoirs d'instruction et de réformation, ce qui confère aux collectivités une plus grande autonomie.
3.2. Tutelle sur les organes des collectivités
- L'autorité de tutelle peut suspendre provisoirement ou révoquer définitivement les élus locaux, voire dissoudre un conseil élu, mais ces mesures sont exceptionnelles et strictement encadrées.
- Exemple : suspension du maire de Bègle pour avoir célébré un mariage homosexuel avant la loi autorisant ce mariage.
- Le préfet peut provoquer la démission d'office des élus inéligibles.
- La dissolution des conseils municipaux, départementaux ou régionaux est possible en cas d'impossibilité de fonctionnement.
3.3. Contrôle des actes administratifs
- Le préfet peut exercer un déféré préfectoral, saisissant le juge administratif pour faire annuler un acte illégal.
- Il dispose d’un pouvoir de substitution d’action en cas de carence des autorités locales (ex. maintien de l’ordre public, exécution du budget), après mise en demeure et avis de la Chambre régionale des comptes.
3.4. Contrôle budgétaire et de gestion
- Le budget des collectivités doit respecter des règles d’équilibre.
- En cas de non-respect, le préfet saisit la Cour régionale des comptes, qui peut adresser des mises en demeure.
- Si les manquements persistent, le préfet peut se substituer à la collectivité pour exécuter le budget.
- Les Chambres régionales des comptes contrôlent aussi la gestion des fonds publics et peuvent engager des poursuites.
4. Particularités territoriales : statuts spécifiques et collectivités d’outre-mer
4.1. Paris, Métropole de Lyon et Corse
- Paris : unique en son genre, elle est à la fois une commune et un département. Le Conseil de Paris délibère en tant que conseil municipal ou départemental et vote deux budgets distincts. Paris est divisée en 20 arrondissements, entités sans personnalité juridique mais exerçant des compétences de proximité. Depuis 2026, le maire de Paris est élu directement par les électeurs.
- Métropole de Lyon : collectivité à statut particulier créée en 2014, elle cumule les compétences de la communauté urbaine et du département sur son territoire. Les conseillers métropolitains sont élus au suffrage universel direct.
- Collectivité de Corse : depuis 2018, la Corse est une collectivité unique à statut particulier regroupant les compétences régionales et départementales. Elle comprend trois organes : l'Assemblée de Corse, le Conseil exécutif et le Conseil économique, social, environnemental et culturel.
4.2. Collectivités territoriales d’outre-mer
- Départements et régions d’outre-mer : Guadeloupe, La Réunion disposent d’un département et d’une région distincts.
- Collectivités territoriales uniques : Martinique, Guyane, Mayotte cumulent les compétences des deux niveaux.
- Collectivités d’outre-mer (COM) : Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin jouissent d’une autonomie plus large. Certaines peuvent adopter des lois locales (lois de pays).
- Statut particulier : Nouvelle-Calédonie, proche de l’indépendance.
- Territoires sans population permanente : Terres australes antarctiques françaises et Clipperton, gérés par un préfet.
Ces collectivités ne sont pas soumises à l’autorité hiérarchique de l’administration centrale mais font l’objet d’un contrôle de tutelle, garantissant un équilibre entre autonomie locale et respect des normes nationales.
5. L’ordre administratif et la justice administrative en France
5.1. Naissance de l’ordre administratif
L'ordre administratif se caractérise par :
- L'apparition de juridictions spécialisées chargées des litiges administratifs.
- Le développement d'un droit administratif, un ensemble de règles spécifiques applicables à l'administration.
Sous le Consulat, la création des conseils de préfecture (1800) et du Conseil d'État (article 52 de la Constitution de l'an 8) marque la naissance de cet ordre. Le Conseil d'État avait une justice dite "retenue", ses décisions devant être validées par le chef de l'État.
5.2. Évolution vers une justice administrative indépendante
- La justice retenue est abolie sous la Troisième République.
- La loi du 24 mai 1872 établit que le Conseil d'État statue souverainement.
- L'arrêt Cadot (1889) supprime le rôle du ministre-juge, permettant aux administrés de saisir directement le Conseil d'État.
- Le Conseil d'État devient une juridiction administrative indépendante, avec compétence de droit commun.
5.3. Le droit administratif, un droit spécial
L'arrêt Blanco (8 février 1873) du Tribunal des conflits affirme que la responsabilité de l'État relève d'un régime particulier, distinct du droit civil, en raison des spécificités du service public.
5.4. Dualité des juridictions et rôle du Tribunal des conflits
Le Tribunal des conflits, créé en 1871, garantit la séparation entre juridiction administrative et judiciaire. Il tranche les conflits de compétence, notamment :
- Conflits positifs : lorsque les deux ordres se déclarent compétents.
- Seule l'administration peut saisir ce tribunal.
6. Organisation de la juridiction administrative
6.1. Les tribunaux administratifs
- Créés en 1953 pour remplacer les conseils de préfecture.
- Ils sont les juges de droit commun en premier ressort pour la majorité des litiges administratifs.
- Il existe 41 tribunaux administratifs en France.
- Les magistrats administratifs y sont inamovibles et recrutés via concours.
6.2. Les cours administratives d'appel
- Instituées en 1987 pour désengorger le Conseil d'État.
- Il en existe huit : Bordeaux, Douai, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Paris, Versailles.
- Présidées par un conseiller d'État en service ordinaire.
- Elles ont une compétence d’attribution, traitant environ 90 % des appels des tribunaux administratifs.
- Le Conseil d'État conserve la compétence en appel pour les élections municipales et cantonales.
6.3. Le Conseil d'État
- Juridiction suprême de l’ordre administratif.
- Compétent en premier et dernier ressort pour les actes d’importance nationale (décrets, ordonnances).
- Compétent en appel pour les élections municipales et cantonales.
- Juge de cassation pour l’ensemble des décisions administratives.
- Composé d’environ 300 membres, répartis en sept sections (cinq administratives, une du rapport et des études, une contentieuse).
- Le Premier ministre est président formel, mais délègue au vice-président.
7. Conclusion : points clés à retenir
- La décentralisation française repose sur un transfert de compétences à des collectivités territoriales autonomes, distinctes de l'État, avec une organisation territoriale en communes, départements et régions.
- Ces collectivités disposent d’une autonomie administrative et financière, encadrée par un contrôle de tutelle de l'État, qui garantit la légalité sans porter atteinte à leur libre administration.
- Certaines collectivités bénéficient de statuts particuliers, notamment Paris, la Métropole de Lyon, la Corse et les collectivités d’outre-mer, adaptées aux spécificités locales.
- L’ordre administratif français est structuré autour d’une justice administrative indépendante, avec une organisation juridictionnelle en trois degrés : tribunaux administratifs, cours administratives d'appel et Conseil d'État.
- Le Tribunal des conflits assure la séparation des juridictions administrative et judiciaire, garantissant la spécificité du droit administratif.
Ce panorama synthétise l’organisation territoriale et les ressources des collectivités françaises ainsi que le cadre juridique et juridictionnel qui garantit leur fonctionnement dans le respect de l’État de droit et de la démocratie locale.@docSEMAINE 12 (vidéo 44 à 49) - Collectivités territoriale, dualité des ordres de juridiction et autonomie du droit ad.docx