Séance 10 – Management des organisations : Prévoir en situation d’incertitude
Cette séance explore la notion de stratégie dans le management des organisations, en insistant sur la nécessité de prévoir et d’agir dans un contexte d’incertitude croissante. Elle met en lumière l’importance d’une réflexion stratégique flexible, collaborative et rigoureuse, ainsi que le rôle clé des dirigeants et managers dans la conduite du changement.
Qu’est-ce que la stratégie ?
À l’origine, le terme stratégie vient du grec stratos (« armée ») et ageîn (« conduire »), désignant l’art de conduire une armée vers la victoire. Transposé au monde économique, il s’agit de :
- L’art de réfléchir aux voies et aux moyens nécessaires pour surpasser ses concurrents.
- Une lutte pour attirer les clients et capter les ressources indispensables à la survie et au développement.
Définitions clés
Plusieurs définitions éclairent la notion de stratégie :
- Oxford Dictionary : « L’art de déployer et de disposer les instruments de guerre afin d’imposer à l’ennemi l’emplacement, le moment et les conditions de combat qu’on préfère. »
- Général Beaufre : « Atteindre le point décisif grâce à la liberté d’action obtenue par une bonne économie des forces. La lutte pour la liberté d’action est l’essence de la stratégie. »
- A. Chandler (1962) : Déterminer les objectifs fondamentaux à long terme d’une organisation, puis choisir les modes d’action et l’allocation des ressources pour les atteindre.
- I. Ansoff (1965) : Concevoir les activités de l’entreprise, spécifiant taux de progression, champs d’expansion, forces à exploiter et profit attendu.
- B. Henderson (fondateur du BCG) : Déterminer l’allocation des ressources pour modifier l’équilibre concurrentiel à son avantage.
- M. Porter (1980) : Combinaison des objectifs que la firme cherche à atteindre et des moyens pour y parvenir face à la concurrence.
Ces définitions montrent que la stratégie est à la fois un art et une science, mêlant réflexion, anticipation et allocation des ressources.
Le rôle du manager et du dirigeant dans la stratégie
Deux visions de la stratégie
- Vision classique : Les dirigeants conçoivent la stratégie, les managers intermédiaires la transmettent et contrôlent sa mise en œuvre.
- Vision contemporaine : La stratégie est co-construite par un réseau d’acteurs autour des dirigeants, comprenant :
- Cadres supérieurs (successeurs potentiels).
- Consultants (ex. McKinsey, BCG).
- Universitaires (Ansoff, Chandler, Porter) proposant des outils stratégiques.
- Managers intermédiaires, qui doivent être réactifs face à l’incertitude et entretenir des relations régulières avec les parties prenantes externes.
Les rôles du dirigeant selon Mintzberg
Louis Le Duff, dirigeant emblématique du groupe Le Duff, illustre bien la polyvalence du rôle de dirigeant à travers la typologie de Mintzberg :
Rôles interpersonnels
- Symbole : personnifie l’entreprise.
- Agent de liaison : développe un réseau de relations et d’informations.
- Leader : guide, motive et donne l’exemple.
Rôles liés à l’information
- Observateur actif : collecte et analyse les informations.
- Diffuseur d’informations : communique en interne.
- Porte-parole : représente l’entreprise à l’extérieur.
Rôles décisionnels
- Entrepreneur : exploite les opportunités, initie des projets.
- Régulateur : gère conflits et dysfonctionnements.
- Répartiteur des ressources : alloue moyens aux projets.
- Négociateur : négocie avec partenaires internes et externes.
Ces rôles montrent la complexité et la polyvalence nécessaires pour piloter une organisation dans un environnement mouvant .
L’entreprise dans son écosystème et l’analyse stratégique
L’entreprise évolue dans un réseau complexe d’acteurs : autres entreprises, actionnaires, banques, clients, fournisseurs, partenaires, institutions publiques, etc. Ce réseau influence fortement la stratégie et la prise de décision.
Analyse de l’environnement et de l’organisation
Pour élaborer une stratégie efficace, il faut :
- Identifier les facteurs clés de succès de l’industrie.
- Repérer les opportunités et menaces dans l’environnement.
- Évaluer les forces et faiblesses internes.
- Déterminer les compétences distinctives de l’organisation.
Cette analyse conduit à une décision stratégique suivie d’une mise en œuvre avec contrôle des écarts.
Le modèle des 5 forces de Porter
L’analyse stratégique peut s’appuyer sur le modèle des 5 forces de Porter, qui identifie les forces concurrentielles majeures :
[Diagramme]
- Menace des substituts : alternatives aux produits/services.
- Pouvoir de négociation des fournisseurs : influence sur les conditions d’achat.
- Pouvoir de négociation des clients : influence sur prix et qualité.
- Rivalité directe : intensité de la concurrence.
- Menace des nouveaux entrants : risques liés à l’arrivée de nouveaux concurrents.
Cette grille aide à comprendre les enjeux concurrentiels et à adapter la stratégie en conséquence.
Planification stratégique et opérationnelle
Planification stratégique
Elle vise à fixer les grandes orientations et objectifs à long terme en répondant à ces questions :
- Mission : Qui sommes-nous ? Que savons-nous faire ?
- Objectifs : Quels résultats viser ? À quelle échéance ?
- Activités : Quels produits/services pour quels marchés ?
- Environnement : Opportunités, menaces, concurrence.
- Organisation : Forces, faiblesses, ressources, compétences.
L’analyse des écarts entre la situation actuelle et les objectifs futurs permet de définir des mesures correctives.
Planification opérationnelle
Elle consiste à définir des objectifs spécifiques pour chaque activité et à allouer les ressources nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie.
Exemple concret : ESSCA École de Management
- Mission : Produire de la connaissance et former des managers responsables, intégrant les dimensions humaines, éthiques et économiques dans un environnement multiculturel et innovant.
- Objectifs :
- Rejoindre le top 30 des business schools européennes.
- Embaucher 200 nouveaux collaborateurs dont 40 professeurs permanents d’ici 2024.
- Doubler le nombre de publications scientifiques en 4 ans.
Prudence face aux outils et gestion de l’incertitude
Une confiance aveugle dans les outils financiers, comme le ROI (Retour sur Investissement), peut être dangereuse. Jean Barthélemy (2016) met en garde contre cette approche, rappelant que ces indicateurs ne garantissent pas la prévision de l’avenir, comme l’illustre l’exemple des fondateurs de Google qui se sont trompés au départ.
Approche recommandée
- Prudence : Ne pas se reposer uniquement sur des chiffres.
- Perte acceptable : Se demander « Combien sommes-nous prêts à perdre si ce projet est un échec ? » pour mieux gérer le risque.
Cette réflexion invite à intégrer une gestion du risque plus réaliste et humaine dans la prise de décision stratégique .
Cas pratique : Le groupe Le Duff
Présentation
Le groupe Le Duff est un acteur majeur de l’industrie agroalimentaire et de la restauration, regroupant 8 enseignes réparties en deux activités principales :
- Industrie : production de boulangerie, pâtisserie, plats cuisinés surgelés, création de recettes innovantes.
- Restauration : restauration italienne, cafés-restaurants en Amérique du Nord, réseau de boulangeries en Allemagne, concepts combinant boulangerie et restauration rapide.
Le groupe est leader mondial dans certains segments, notamment le café-bakery à la française.
Répartition du chiffre d’affaires
Le chiffre d’affaires est diversifié entre ces activités, illustrant une stratégie de diversification pour réduire les risques et capter différentes parts de marché.
Questions pour approfondir la réflexion
- Qui sont les concurrents directs de la Brioche Dorée ? D’autres enseignes seront-elles créées prochainement ?
- Existe-t-il des concurrents indirects ? Comment peut-on déjeuner autrement qu’en allant chez Brioche Dorée ou ses concurrents ?
- Qui sont les fournisseurs et les clients de la Brioche Dorée ?
- En quoi la crise sanitaire liée au COVID peut-elle être une menace et une opportunité pour le groupe Le Duff ? Quelles solutions envisager ?
- En vous référant à la typologie de Mintzberg, quels sont les rôles joués par Louis Le Duff en tant que dirigeant ?
Ces questions permettent d’appliquer la théorie à un cas concret et de mieux comprendre les enjeux stratégiques.
Conclusion : Vers une réflexion stratégique collaborative et adaptative
Face à l’incertitude croissante, l’approche top-down traditionnelle montre ses limites. Il est nécessaire d’instaurer davantage d’interactions au sein des organisations.
- Rôle des dirigeants : Ils restent les principaux décisionnaires.
- Rôle des managers : Ils gagnent une marge de manœuvre plus importante en jouant trois rôles clés :
- Acteur opérationnel : mettre en œuvre la stratégie.
- Acteur concepteur : proposer des évolutions stratégiques.
- Acteur traducteur : communiquer, convaincre et motiver les équipes.
Cette dynamique favorise une organisation plus collaborative, flexible et capable de s’adapter aux changements rapides de son environnement.
Points clés à retenir
- La stratégie est un art et une science visant à atteindre des objectifs à long terme dans un environnement concurrentiel.
- La planification stratégique et opérationnelle permet de structurer cette démarche, mais doit rester flexible.
- L’analyse de l’environnement et des forces concurrentielles est essentielle pour adapter la stratégie.
- La gestion de l’incertitude nécessite prudence et réflexion sur les risques acceptables.
- Le rôle du dirigeant est multiple et central dans la conduite du changement.
- La collaboration entre dirigeants, managers et parties prenantes est indispensable pour naviguer dans un contexte incertain.
Ce panorama complet illustre la complexité et la richesse du management stratégique en situation d’incertitude, en conjuguant théorie, outils et exemples concrets.